Exposition collective
La beauté et le bâti
"La beauté et le bâti" est une exposition flash qui réunit une sélection de vidéos d’artistes travaillant dans un contexte géographique et culturel élargi à travers l’Europe et les Etats-Unis. En questionnant le rapport de la société occidentale actuelle à son patrimoine culturel, l’exposition met en exergue une variété de contextes architecturaux et de cadres institutionnels et révèle en arrière-fond la relation ambiguë que ces appareils culturels entretiennent avec des questions plus vastes liées à l’histoire, à la société et à l’idéologie.
Tear Down and Rebuild de la Slovène Jasmina Cibic se déroule à l’intérieur du somptueux Palais de la Fédération de Belgrade construit en 1959 en tant que symbole idéologique et politique des non-alignés et de l’engagement de l’ex-puissance yougoslave dans la « troisième voie » à l’époque de la guerre froide. Dépourvu de ses fonctions d’antan, le palais redevient le lieu d’une mise en scène théâtrale jouée par quatre protagonistes féminines incarnant des rôles bien spécifiques : la Bâtisseuse de Nation, la Pragmatique, la Conservatrice et l’Artiste/Architecte. Pourtant le film est dénué de tout contexte politique, historique et géographique; une stratégie qui vise à déstabiliser le spectateur, renforcée par le choix d’un casting et d’un jeu d’acteur typiquement britanniques. L’entièreté des dialogues est composée de différents discours, allocutions et déclarations historiques prononcés au cours du XXe siècle par des figures publiques, politiques et intellectuelles (Walter Gropius, Benito Mussolini, Frank Lloyd-Wright, Nikita Khrouchtchev, Adolf Hitler, Bruno Taut, Ronald Reagan, le Prince Charles, Margaret Thatcher, etc.). Ces décrets confrontent des prises de position variées, voire opposées quant à la question de la destruction ou de la préservation d’un patrimoine artistique et architectural doté d’une valeur esthétique certaine, mais jadis au service d’idéologies politiques et étatiques passées.
János Sugár compte parmi les plus importants artistes médias en Hongrie. Il est arrivé à maturité artistique dans la scène alternative sous le socialisme, d’abord en prenant part au collectif artistique d’avant-garde interdisciplinaire Indigo au début des années 1980, puis, dès 1985, au sein du Balázs Béla Stúdió, une plateforme cinématographique expérimentale, où il réalisa Persian Walk (1985). Le titre fait référence aux Lettres Persanes de Montesquieu, qui détaillent la vie française à travers les yeux de deux nobles persans. En adoptant cette perspective étrangère pour l’appliquer au quotidien hongrois de la fin du socialisme, le film, d’abord tourné en 16 mm, montre deux jeunes hommes flânant à travers la ville, tout en récitant sans arrêt des titres de journaux tirés d’un hebdomadaire économique par Sugár. La bande son fournit aussi deux voix extra-diégétiques qui commentent la scène urbaine quotidienne. A travers les voix des deux flâneurs, les scènes banales dans la ville sont ancrées dans un moment socio-économique précis, celui de 1985. Et pourtant le dialogue absurde qui s’y ajoute guide notre regard vers des objets urbains quotidiens, des réverbères aux phares de voitures, qui servent d’artéfacts amusants et étrangement historiques, le film lui-même devenant dans ce processus un document historiographique. Un moment de pause au milieu du film emmène les protagonistes dans un espace de galerie. Les œuvres abstraites de l’exposition, réalisées par Sugár pour le film, sont un exercice d’imagination de l’art à venir. Elles sont en dialogue avec le paysage urbain, renforçant la délicate tension entre la valeur historique et culturelle du quotidien de 1985 filmé et l’avenir imaginé qui lui fait écho, mais qui fragmente aussi notre perspective en tant que spectateurs contemporains.
Artiste multimédia et pluridisciplinaire largement reconnu et exposé internationalement, Muntadas est né en Espagne et vit à New York depuis 1971. Son œuvre hétérogène traite différentes questions sociales et politiques, et dévoile souvent les connections entre l’espace privé et l’espace public. En plus de s’intéresser à la manière dont l’information est disséminée et consommée dans la société contemporaine, son travail se concentre également sur les structures institutionnelles, déconstruisant de manière méthodique les systèmes idéologiques, financiers, culturels et architecturaux qui les soutiennent. Situación (2011) est un exemple clé de l’approche artistique de Muntadas. Ce travail explore le prestigieux Musée Reina Sofia et se focalise sur la relation entre le bâtiment d’origine, construit à la fin du XVIIIe siècle par Francesco Sabatini, et l’extension de 2005 conçue par l’architecte français Jean Nouvel. La vidéo a été tournée à l’occasion de l’exposition "Entre/Between" de l’artiste, qui a eu lieu au sein de l’institution. Elle met en avant principalement les espaces interstitiels où les deux bâtiments, transportant chacun des connotations culturelles et historiques différentes, se rejoignent, montrant les espaces intermédiaires des quatre étages : les escaliers, les couloirs et les ascenseurs, où les structures fusionnent. En incluant également des conversations avec plusieurs professionnels qui ont directement façonné ou qui ont été affectés par l’intervention architecturale, y compris Jean Nouvel, l’œuvre révèle les effets irrévocables de l’extension, qui impliquent des changements d’ordre économique, spatial, performatif et esthétique majeurs, reliés à la fois au musée en tant que symbole culturel et à son fonctionnement quotidien.
En 2003, pour le pavillon hongrois de la Biennale de Venise, le duo d’artistes Little Warsaw (András Gálik et Bálint Havas) présente le projet The Body of Nefertiti: une sculpture en bronze d’un corps féminin sans tête, qui prend son sens dans une vidéo qui montre la statue en train d’être rattachée au célèbre buste de Néfertiti, conservé au Musée égyptien de Berlin. A la suite de longs échanges avec les artistes, c’est le directeur du musée lui-même, Dietrich Wildung, qui procède à l’opération. Même si elle n’aura duré que quelques minutes, l’unification du buste de Néfertiti et de la statue du corps aura eu le temps de soulever des questions, en engageant un dialogue à la fois temporel (trente-cinq siècles séparent les deux statues), artistique (la place de l’art contemporain face à l’art classique et établi) et même géographique (une statue réalisée en Hongrie est exposée à Venise, après avoir été réunie à une statue égyptienne conservée à Berlin). Mais la rencontre des deux statues ne plaît pas à tout le monde, et des officiels égyptiens, choqués par le projet, vont jusqu’à réclamer le retour de la statue en Égypte. En s’inspirant des démarches conceptuelles, le travail de Little Warsaw brouille les frontières entre les différents contextes. Ici, ce travail aboutit à la rencontre d’œuvres provenant de domaines artistiques a priori étrangers, donnant ainsi corps à un terrain d’échange et de dialogue.
La vidéo The Course of Things attire l’attention sur la manière dont les codes cinématographiques influencent notre perception et notre interprétation du quotidien. Dans cette optique, le collectif_fact a filmé pendant plusieurs jours des touristes et le personnel du Musée d’histoire naturelle de Londres, qui, à leur insu, sont devenus les acteurs d’un film à suspense. Oscillant entre fiction et réalité, cette vidéo joue sur les attentes du spectateur et sa capacité à se raconter des histoires. Des personnes prises au hasard semblent se regarder ou se poursuivre tandis que le musée devient une scène de film. Grâce au montage, le collectif_fact manipule ce moment de déséquilibre qui fait basculer le quotidien dans le drame, où l’angoisse succède au calme. La voix d’Alfred Hitchcock, des extraits issus de la série TV « Alfred Hitchcock presents » se superpose aux images, ajoutant des accents narratifs qui nous accompagnent tout au long de cette visite peu commune. A chaque instant le doute s’installe et des indices épars suscitent notre imagination, le musée devient une potentielle scène de crime. Le collectif_fact, avec sa manière de «fictionnaliser» ces scènes, interroge le spectateur sur le pouvoir que possède l’image à suggérer ce qui n’est pas.
Frederick Wiseman est un réalisateur américain de films documentaires, dont le travail s’intéresse de près à des institutions de types variés, des établissements de santé mentale (Titicut Follies, 1967), en passant par les forces spéciales de police (Domestic Violence, 2001), jusqu’aux lieux de production culturelle (Ballet, 1995). Son approche stylistique repose sur un manque d’éléments explicatifs habituellement associés au genre, comme la voix off ou une trame dramatique clairement perceptible, bien que ses films soient remplis d’émotion et d’intensité narrative. Wiseman dresse un portrait captivant des espaces qu’il enregistre dans de longs films qui rendent délicatement compte du poids des structures institutionnelles d’envergure et des myriades d’histoires personnelles et d’expériences qui s’y rattachent. National Gallery se focalise sur le musée éponyme de Londres, et présente un exposé, sur plusieurs plans, de ses fonctions en tant que lieu d’exposition, mais impliqué également dans la restauration et l’éducation. Le point de vue nuancé de Wiseman s’arrête tour à tour sur des curateurs, des conservateurs, des encadreurs, des éducateurs, mais aussi sur les nombreux visages des visiteurs aux côtés de l’imposante collection de certains des chefs-d’œuvre de l’art occidental. Par cette approche, son film finit par dévoiler la tension entre les différentes visées du musée comme un lieu restant lié aux systèmes bureaucratiques et infrastructurels, et la relation perpétuellement dynamique entre les œuvres d’art et notre perception de celles-ci — une perception qui, malgré tout, ne se détache jamais totalement du contexte institutionnel au sein duquel l’art est consommé.
Panorama de Marion Tampon-Lajarriette propose l’image d’un paysage monumental lunaire en noir et blanc, comparable à celles prises par l’équipe du programme Apollo 11 lors du premier atterrissage de l’homme sur la lune en 1969. Ultra-médiatisées jusqu’à être accusées d’être des fausses images d’alunissage orchestrées dans les studios de Stanley Kubrick, ces dernières ont acquis une aura de fiction et de culte. Issus du cadre scientifique, ces documents deviennent l’archétype d’une imagerie spatiale qui n’a cessé d’influencer l’esthétique fantastique depuis. Composé de douze impressions indépendantes, Panorama fait en réalité partie d’une nouvelle série de travaux où l’artiste expérimente la mise en scène de bustes antiques qui sont transformés en paysages stellaires et imaginaires. Les techniques de reproduction et de représentation choisies par l’artiste – l’agrandissement, la fragmentation, le plan serré et rapproché – à la fois magnifie et éloigne le sujet de l’objet muséal initialement photographié. « L’œuvre de Marion Tampon-Lajarriette renvoie à la manière dont le savoir est pétri par l’imaginaire, par la fiction, par des hypothèses. L’artiste amène à réfléchir sur les différents filtres culturels qui nous permettent de comprendre le monde d’une certaine façon, autant au niveau intime que collectif. » (Emilie Schmutz)
Dans Monuments, l’artiste anglais Redmond Entwistle interroge les rapports entre les enjeux analytiques du langage et les contextes matériels de production des œuvres d’art dans le cadre de l’art minimal américain des année 1960–1970. Carte en main, les trois protagonistes partent en exploration à travers le New Jersey dans une quête mystérieuse, visitant les banlieues industrielles américaines de Montclair, Englewood, Bayonne, Passaic, sites emblématiques d’interventions artistiques de trois artistes majeurs de l’art minimal des années 1960: Dan Graham (Homes for America, 1966—1989), Gordon Matta-Clark (Splitting, 1974 et Bingo, 1974) et Robert Smithson (Monuments of Passaic, 1967). Dans le film, les trois acteurs incarnent ou « reproduisent » les artistes, et élaborent un dialogue reconstitué entièrement à partir de leurs écrits et documents. En retraçant l’histoire de ces explorations artistiques, le film documente en parallèle le déclin de l’industrie de la région et révèle les effets néfastes de la globalisation sur les Etats-Unis depuis les années 1960.
Le réalisateur belge Jef Cornelis mène une carrière extrêmement prolifique dans le domaine télévisuel entre 1964 et 1998, produisant une série de travaux sur l’art, l’architecture et la littérature qu’on pourrait qualifier d’essais cinématographiques. En adoptant une approche intellectuelle inquisitrice et critique, il traite des sujets qui vont des questions urbanistiques aux reportages sur des figures clés de l’art contemporain en Belgique et au-delà. En parallèle à ses travaux pour la télévision, il expose fréquemment ses œuvres artistiques abstraites et expérimentales dans des galeries. Son œuvre aborde la portée de la diffusion télévisuelle et la position relativement marginale de l’art d’avant-garde dans le cadre élargi de la sphère culturelle. Les premiers documentaires qu’il a réalisés pour la télévision belge révèlent déjà un style méthodologique très méticuleux et poétique et une acuité pour capturer la délicate interaction entre les paysages flamands, les sites historiques discrets et les objets et sujets qui habitent ces espaces. Filmé avec des mouvements de caméra élégants et fluides, l’ensemble de ces éléments forme une unité puissante par la mise en exergue de compositions et de détails architecturaux comme éléments essentiels du patrimoine belge. Le film présenté dans le cadre de cette exposition a été réalisé en 1964 et décrit le site historique de l’abbaye du Parc à Heverlee.