Clarence Stiernet
Philippe Reymondin
Romain Saintonge
Icônes
Du grec ikona, image, le mot «icône» peut signifier l’image religieuse byzantine ou, au figuré, l’archétype, concept qui sous-tend les œuvres des trois artistes présentés ici.
Après s’être arrêtée pendant plusieurs années sur le thème de la femme, Clarence Stiernet a eu envie de se pencher sur la figure masculine, uniformisée par la culture moderne qui lui impose depuis des décennies le costume noir, la chemise blanche et la cravate. Taillés dans des blocs de bois et peints, ces personnages proposent donc une image archétypale de l’homme, marquée par un code vestimentaire conformiste ayant peu évolué. Mais avant de passer à la sculpture, l’artiste a d’abord commencé par peindre ces bonhommes sur toile, en les alignant de manière imperceptiblement irrégulière, comme une écriture qui tenterait d’échapper à l’horizontalité de la feuille de papier. Cette légère irrégularité trouve écho sur les visages, caractérisés par d’infimes différences, ce qui provoque une vibration sourde de l’ensemble. La masse devient alors somme d’individus, dont l’uniformité se craquelle peu à peu, semblables et pourtant différents, que Clarence Stiernet prénomme d’ailleurs «Quidams» afin de souligner leur anonymat. Cette absence d’identité lui a aussi inspiré une œuvre en hommage aux trains de la mort de la Deuxième Guerre mondiale, avec des wagons grillagés dans lesquels s’entassent ces mêmes petits personnages à cravate. Pourtant, même lorsqu’elle évoque la nostalgie ou les drames du passé, l’artiste ne peut s’empêcher d’y glisser une note d’espoir – sous forme de petits volatiles multicolores – ou d’ironie, proposés comme des clés pour dépasser le stade de l’émotionnel.
La même nostalgie enveloppe les peintures de Romain Saintonge. Elle est puisée dans des photos, trouvées aux puces, dans les magazines ou faites par lui, qui constituent le modèle à partir duquel il crée ses tableaux. Mais sa manière hyperréaliste qu’il a de représenter jusqu’au léger flouté presque fané de la photo d’origine est très vite contredite par le brossage et des coulures presque systématiques, ou encore par des taches barrant volontairement certains visages.
Ces interférences qui déferlent sur les toiles leur apportent un élément cinétique au premier plan, laissant les personnages s’enliser lentement dans le fond, dans un espace-temps non définissable. Devenus anonymes par l’extrapolation de leur environnement, les personnages semblent en effet se noyer dans cette matière picturale dense et onctueuse, à laquelle l’artiste ajoute aussi de la cire, comme pour sceller à jamais le cours du temps. Ces hommes, femmes ou enfants privés de leur identité d’origine n’en sont pas moins touchants pour le spectateur qui peut leur greffer dessus ses propres souvenirs. Promus de l’anecdote au statut d’universels, les personnages de Romain Saintonge deviennent les icônes d’une mémoire collective, à laquelle chacun peut se rattacher.
Portée en figure emblématique de beauté, force, douceur, souffrance ou plaisir, la femme constitue le thème central des récentes œuvres de Philippe Reymondin. Le point de départ de cette série aux multiples facettes a été sa fascination pour le regard intense de deux nus célèbres, La Grande Odalisque d’Ingres et Kiki de Montparnasse photographiée par Man Ray. Réinterprétées en gravures superposées par l’artiste, elles invitent langoureusement le spectateur à entrer dans cet univers d’un idéal féminin décliné à l’infini. De la série des femmes masquées aux poses évocatrices, oscillant entre la violence et le plaisir, référence au Demoiselles d’Avignon de Picasso, aux images de personnages féminins crucifiés, symboles des souffrances endurées aujourd’hui encore par les femmes dans le monde, le discours de Philippe Reymondin n’est ni provocateur ni subversif. A travers le détournement de cette iconographie conjuguée ici au féminin et ayant gardé le rouge et la dorure de l’icône traditionnelle, il questionne le spectateur sur la problématique féminine à travers la signification première de ces icônes cultuelles. Il en est ainsi avec l’image de la Vierge au Sacré-Cœur, dont la force réside dans la douceur du regard et le flamboiement de son amour universel, tout autant que dans celle de la guerrière urbaine, qu’il représente dégainant des bonbonnes de spray comme unique arme pour s’exprimer sur la place publique.