Floriane Tissières
Guillaume Estoppey
Pascal Greco
Guillaume Estoppey, Pascal Greco, Floriane Tissières
Architectures urbaines vides d'humains, ou surréalistes et inclues dans des environnements improbables, ou encore architectures utopistes faites de miniatures magnifiées, les sculptures, dessins, films et photos de ces trois artistes offrent autant de visions troublantes par leur étrangeté.
Floriane Tissières a été pendant longtemps aussi restauratrice d'art. De cette expérience mêlant connaissances théoriques et techniques, des traces persistent dans son travail de plasticienne. La pureté des formes, le soin particulier apporté au faire, le remploi de matériaux que rien ne dédie intrinsèquement à la création artistique constituent les bases qui orchestrent ses diverses réalisations. Sa série intitulée «Architectures utopiques» inverse les proportions, les volumes, les valeurs. L'artiste s'est intéressée aux emballages de pralinés et de biscuits dont les formes aussi variées que particulières lui ont suggéré des architectures en négatif qu'elle a révélées en utilisant ces contenants comme autant de moules. Des volumes aux détails délicats en sont nés, apparentés à la fois aux maquettes de bâtiments et à des sculptures classiques. Les vides deviennent des pleins renversés, l'objet jetable s'anoblit en se matérialisant dans le bronze, l'invisible s'étoffe par le plâtre à la patine proche du marbre de Carrare, tandis que la miniature aux formes parfaitement équilibrées reflète des monuments inexistants. Les moulages ont ensuite offert leurs silhouettes et ombres portées à l'objectif photographique qui les a transformées en images irréelles et tout aussi utopiques par leurs couleurs, mais pourtant si proches de réalités connues comme des châteaux ou buildings célèbres. Issues du vide, les sculptures redeviennent ainsi chimères immatérielles.
Prises de nuit dans des espaces urbains désertés, les photographies de Pascal Greco baignent dans une étrange luminosité qui exacerbe les couleurs, et offrent au regard une rigueur soutenue par la symétrie, le contraste, l'éclairage et les surfaces structurées. L'absence humaine accentue le côté théâtral que leur confèrent les couleurs rendues acides par la lumière nocturne. Devenues, dans certaines photos, uniques protagonistes, les architectures monumentales habitent l'espace, le construisent, y racontent la gloire, l'éphémère, la solitude. Ailleurs, un coin de rue laisse apparaître l'envers du décor, au parterre lézardé et au ciel hachuré de lignes électriques anarchiquement rattachées à un mât au centre de la composition. Le plus souvent deux mondes se côtoient en s'ignorant, l'un fait de baraques aux murs usés et l'autre de vertigineuses constructions de verre et de béton. Les couleurs, le rendu des textures et la lumière sublimée confèrent à ces photographies un élément pictural qui en accentue la sensation de se trouver face à une scène ou à une image inventée de toute pièce, comme un montage photographique.
A chaque fois une teinte domine, restituant une atmosphère particulière, sans jamais rappeler l'élément naturel. La couleur verte est presque toujours absente ou alors dans une tonalité si artificielle qu'on peine à l'associer à l'environnement végétal. La cité paraît avoir pris le dessus et être devenue autonome, sans même besoin de l'humain. Les films réalisés par Pascal Greco évoquent aussi la ville dans son rythme lancinant et régulier qui la transforme en gigantesque organisme biomorphique au cœur duquel battent les lumières nocturnes et viennent se nicher de minuscules vies humaines, précieuses comme des fleurs du désert.
Les dessins au pastel et mine de plomb de Guillaume Estoppey nous sont offerts tel des fragments d'un univers parallèle mystérieux et inquiétant, que l'artiste divise et organise en catégories rigoureuses, comme l'ébauche d'une encyclopédie en devenir. Dans cette série de dessins, les architectures s'insèrent littéralement dans la matière rocheuse. Elles semblent tour à tour creusées dans le roc, ou construites adossées à la falaise ou encore englouties dans une lave qui se serait solidifiée après quelque épisode apocalyptique. Dans d'autres dessins, il ne reste que les vestiges d'une cité disparue, redevenue désert rocheux aux aspérités demeurées trop régulières. Les paysages comme les intérieurs sont désertés complètement, sans qu'aucune trace de vie ne subsiste. L'étrangeté due à cette absence humaine est accentuée par la régularité trop parfaite des structures architecturales qui en deviennent presque des trompe-l'œil vu certains formats monumentaux. Les titres donnés par l'artiste offrent une nouvelle perspective à ces images, des sensations (chaleur et sécheresse), des ressentis émotionnels (les dimanches d'automne, lassitude et bonheur continu), des métaphores (dettes et oublis). Les dessins prennent alors une dimension autre, plus profonde, comme si une clé était offerte pour brouiller les pistes et en même temps entrouvrir le passage vers une logique toute personnelle qui augmente le mystère. A la complexité de ces deux niveaux de lecture s'ajoute l'hyperréalisme des rendus s'opposant à une image au final surréaliste qui, par le velouté de la matière pastel, redevient enfin purement picturale.