Maggie Daems
Forêt de mains
Maggie Daems peint comme d’autres respirent, se nourrissent ou vivent. Direct prolongement de son âme créatrice, sa main trace sur le papier d’inlassables entrelacs de lignes, au gré des impulsions qui viennent du plus profond d’elle-même, comme les vagues s’échouent sur une grève déserte, les unes après les autres. Si elle sait où son trait commence, elle ne sait jamais où il va mourir, car ce n’est pas elle qui décide où le crayon, le stylo ou le fusain s’arrêtera dans le chemin qu’il se fraie sur le blanc de la feuille. Mais les lignes aussi ont leur vie propre, puisqu’elles s’organisent en silhouettes anthropomorphes ou en étranges animaux. Ces personnages bizarres, qui créent un univers parallèle, sont le plus souvent des visages et des mains. Faces grimaçantes, tristes ou gaies, aux grands yeux qui s’ouvrent sur l’univers, tout ébahis de leur si prompte naissance. Regards étonnés qui se croisent, se rejettent ou se cherchent, semblant parfois désirer une issue hors du dessin qui peine à les contenir. Au mouvement des yeux viennent se mêler les arabesques de mains gigantesques, aux doigts écartés. Jamais un poing ne vient défaire cette harmonie. Le geste est fluide, sinueux, les paumes ouvertes, prêtes à recevoir ou à donner, dans un langage muet dont il faut décrypter le mystérieux vocabulaire.
Séparés en entités définies, il arrive souvent que ces personnages s’unissent, créant une fusion primordiale de la matière et de l’âme. Les figures deviennent alors multiples, à plusieurs têtes, étirant à l’infini leurs mains serpentines.
Comme dans les histoires pour les petits, la peur est brutale, originelle. La peur de l’existence, ou de la non-existence. Mais tel un conte de fées, la crainte est racontée dans un langage où le tragique ne peut s’empêcher d’oublier que le rire est son contrepoids. L’un dans l’autre, ils deviennent musique, où s’alterneraient le mode mineur et le mode majeur. Derrière un regard effrayé, la sérénité n’est jamais très loin, tandis que les moues tristes se perdent très vite dans le flot des sourires.
Par peur du vide peut-être ou à cause de sa créativité si débordante, Maggie Daems ne laisse pas de néant dans ses compositions. Cependant, les fonds ne se limitent pas à un remplissage de l’espace entre les personnages. Ils créent une atmosphère, soulignent une courbe, animent ces univers en se parsemant de petits motifs décoratifs, créent parfois un cadre qui retient les figures à l’intérieur du dessin.
La couleur est ici une forme de langage où les teintes sont autant de signaux qui se répondent, qu’elles soient éclatantes comme la lumière d’été ou monochromes comme une céramique précolombienne. Chacune a sa place, participant à l’équilibre de la composition. Fascinant par tant de vie fourmillante, le monde de Maggie Daems est déconcertant par la richesse des infinies variations sur un même thème sans qu’il n’y ait jamais répétition. Qu’on s’y arrête un instant et on se retrouve déjà inévitablement à suivre le trait que l’artiste a dessiné sur le papier, et à se perdre dans les méandres de cette ligne qui ressemble à celle de la vie.