Guy Schibler
Véronique Déthiollaz
Figures du lien
Une activité aussi intime que l’art ne permet pas toujours de dissocier vie privée et création, surtout lorsqu’on vit avec un autre plasticien. Nombreuses sont d’ailleurs les histoires de couples d’artistes dont les relations, souvent passionnées et parfois houleuses, se sont répercutées jusque dans l’atelier, engendrant influences et liens formels entre les œuvres : Auguste Rodin et Camille Claudel, Diego Rivera et Frida Kahlo, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp, Robert et Sonia Delaunay, pour n’en citer que quelques-uns. D’autres artistes, plus proches de nous, comme Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, Gilbert & Georges, Lucy et Jorge Orta, Christo, Sabina Lang et Daniel Baumann, et bien d’autres encore, ont délibérément choisi de travailler en étroite collaboration, afin d’enrichir leur travail de leur expérience et réflexion communes.
Le concept de cette exposition est né de l’initiative de Véronique Déthiollaz et Guy Schibler qui ont choisi de travailler en dialogue pendant presque deux ans, l’une au pastel et l’autre avec la photographie. A travers ce cheminement en parallèle, ils ont exploré la possibilité de tisser des liens entre dessins et images digitales, mais ont aussi tenté de mieux comprendre de cette manière les affinités qui les a réunis dans la vie. Ils ont ainsi créé plusieurs séries, centrées sur des thématiques qui les fascinent tous les deux – féminité et sensualité, inconscient et paysages souterrains, mort et spiritualité – avec le souci constant de maintenir leur indépendance créatrice. Pour cela, ils ont alterné les «questions-réponses», comme dans une diatribe classique, en proposant chacun à son tour un nouveau sujet à l’autre.
Au fil du temps, les relations entre leurs œuvres ont passé de ressemblances formelles évidentes à des analogies plus sémantiques. Les pastels intitulés «Femme du sable» sont une citation littérale des photos en noir et blanc de la série «Arrête ton cinéma», tandis que les paysages souterrains au pastel, «Sous la peau», qui s’enfoncent au tréfonds de l’intimité, ont conduit le photographe à capturer ce qui se passe sous la surface, avec les images de racines et d’aquariums baptisées «L’Inconscient». Une même sensualité se retrouve dans les dessins de «Danse Rouge» qui a trouvé un lien thématique dans les photos de la «Danse Serpentine».
Fascinée par le thème de l’Ile des Morts cher à Arnold Boeklin, Véronique Déthiollaz a décliné cette iconographie avec plusieurs variantes, ce qui a suscité en réponse des photos d’architecture moderne, prises à l’église Sainte-Jeanne-de-Chantal de Genève, où les jeux de lumière et de structures abstraites en béton leur apportent un écho spirituel, mais aussi des images répétées de poteaux à neige – lien entre terre et ciel – ou encore une série de «Fenêtres vers le ciel».
Comme pour tenter de capter le mystère de la création au pastel, Guy Schibler a cristallisé en photo les étapes d’un dessin, pour en faire une sorte de film en séquences montrant les différents passages et couches que sa compagne étale sur la feuille avant d’arriver au résultat satisfaisant. En mutation perpétuelle, le dessin devient alors mouvance qui retrace les émotions et pensées de l’artiste.
Inspirés des photos urbaines de fils à lessive et de trolleys des séries «Le Lien, le linge» et «Jonctions», certains dessins et pastels ont glissé progressivement vers l’abstraction, dans un entremêlement de lignes noires ou colorées, rassemblées sous les titres de «Mêlée» et «Percée». Ces séquences d’images, réalisées plus récemment, ont finalement concrétisé le concept même de cette collaboration, à savoir le lien qui devient ici tangible, au sens de dialogue entre conscient et inconscient, de sentiments entre deux êtres mais aussi de relation avec le monde extérieur.