Anne Peverelli
Johan Parent
Virginie Piotrowski
Architectures potentielles
Avec quelques éléments réels et fictifs, Johan Parent reconstitue un espace neutre et froid, qui pourrait être celui d’un bureau ou d’une administration, mais dont la perception le transforme peu à peu en un lieu étrange et aliénant. Deux murs de la salle, repeints pour l’occasion en gris-vert, sont vaguement éclairés par des luminaires sphériques, et agrémentés par de fausses bouches d’aération. Des dessins en noir et blancs rythment ces surfaces neutres, tandis qu’une plante verte semblable à celles que l’on pourrait trouver dans une salle d’attente, agrémente un angle de la pièce. Une troisième paroi s’ouvre sur une projection tripartite d’espaces anonymes filmés en plans fixes et qui rappellent les sujets encadrés. D’une grande simplicité, ce dispositif d’installation met en péril la perception de l’espace. Le spectateur entre dans un lieu non identifié, mais suffisamment anodin pour ressembler à des centaines d’autres endroits familiers, mais sans identité propre. L’accrochage traditionnel des dessins en ligne rappelle celui d’une galerie, tout en devenant ornemental par la présence incongrue et pourtant importante de la plante verte. Seul élément naturel, le végétal permet de se raccrocher à une réalité que tout concorde à rendre virtuelle ou théâtrale, y compris le sujet des dessins. Ces enfilades labyrinthiques de couloirs, intitulés Laboratoire Vertigo, deviennent d’autant plus vertigineuses lorsque le regard s’attarde sur le sol en damier, formé non pas de dalles noires et blanches, mais de blocs vides alternant clair et obscur. Autre élément perturbateur, la vidéo présente des lieux vides et sans couleur qui trouent le mur par un effet de perspective accélérée. Le manque de détails narratifs apparente ces trois vues aux dessins ainsi qu’à l’atmosphère étrange qui s’en dégage, amenée ici par une porte qui s’ouvre et se referme à répétition sans intervention humaine. L’absence de personnages, au-delà de rendre l’ensemble déroutant voire inquiétant, transforme inévitablement le visiteur en acteur, qui se fait happer par ce décor réel ou imaginaire. Ces différentes interventions créent des mises en abyme successives sur des univers où le regard peine à retrouver ses repères.
Lignes, grillages, réseaux, coulures, créés par des teintes sourdes, constituent les éléments du langage pictural d’Anne Peverelli. La justesse avec laquelle chaque trait semble trouver parfaitement sa place sur la surface de la feuille, tout en gardant intacte la liberté du geste et la fluidité de l’ensemble, est fascinante. Aux limites de l’abstraction, ces compositions retiennent en filigrane le souvenir d’un élément architectural ou paysager, dont le regard de l’artiste, s’est nourri pour en extraire une vision purement picturale. Lorsque les lignes se font réticulaires, elles créent des espaces d’ombres et de lumière, tandis que jointes en angles, elles semblent dessiner le squelette d’une architecture en devenir. Organisées en parallèles, elles gardent cette imperfection qui laisse deviner le geste. On oscille perpétuellement entre la suggestion d’un espace ou d’un volume et la perception jouissive du pinceau caressant la feuille de papier avec exactitude. Toute surface plane peut servir de support, la plasticienne sélectionnant le médium en conséquence pour obtenir l’effet désiré.
Dans cette exposition, Anne Peverelli a choisi un mur de forme triangulaire sur lequel laisser courir l’aquarelle pour construire une architecture improbable. Ce jeu de croisements irréguliers brise la surface monumentale de la paroi en lui offrant une sorte de légèreté que viennent contrebalancer des dessins placés sous verre. L’artiste maintient ainsi sur un même registre les deux fonctions murales – de fresque et de support –, en créant de surcroît un mouvement perpétuel entre deux dimensions, de format, grand et petit, mais aussi d’espace, plat et en volume. En tant que spectateur, le regard se promène à travers les lignes, comme dans un parcours où il peut s’attarder sur les dessins qui s’ouvrent sur une dimension supplémentaire, comme autant de fenêtres sur des univers picturaux parallèles. Libre à lui de se reconnecter à des images existantes ou de demeurer dans le silence de la peinture.
Comme un peintre le ferait avec ses pinceaux, Virginie Piotrowski dispose sur le mur dessins, maquettes, lampes et matériaux bruts pour recréer une œuvre globale et disparate que le spectateur est invité à reconstituer mentalement, comme s’il se trouvait devant une immense peinture constructiviste. Libre à lui de donner alors à cette suite un déchiffrage selon ses propres codes, en s’appuyant sur les indices formels ou sémantiques que l’artiste a posés dans sa mise en place. Virginie Piotrowski, à son habitude, joue sur plusieurs registres, intercalant réel et virtuel, image et objet, dessin réaliste et photographie. Par ce jeu de renvois, de juxtapositions et de confrontations, elle nous immerge progressivement dans ce qui, au premier regard, ressemble à un inventaire, qui prend forme et consistance à mesure qu’on l’observe et qu’on s’y promène. Disposant ici d’un mur de dix mètres, la plasticienne a joué sur l’étalage dans la longueur et donc sur la surface. La troisième dimension est créée par la superposition de plans et par les perspectives fictives des dessins et des photos. Le mur se transforme ainsi en un point focal d’étalonnage fixe vers lequel le regard peut revenir dans son perpétuel aller et retour entre chaque élément. L’échelle joue également un rôle important dans cette installation. Les maquettes et représentations au crayon d’échafaudages retiennent le concept de gigantesque qui vient butter contre les surfaces réfléchissantes qui recomposent virtuellement la structure de la salle d’exposition, en la fragilisant dans une image translucide qui se superpose aux dessins par l’utilisation de vitres. Virginie Piotrowski ne partage pas seulement sa réflexion, mais nous fait entrer dans son processus d’élaboration de l’œuvre, comme si elle transposait en réalité un fragment de son atelier. Le fait que certains objets soient simplement posés contre le mur, accentue cette première compréhension d’une installation en suspens et introduit le concept de temporalité et de mouvement implicite, cette idée étant corroborée par l’image de chantier et d’architecture. L’artiste crée une œuvre globale, à appréhender progressivement, par niveaux successifs.